2022 - 2025
Qu’il s’agisse des violences sexuelles (e.g. #MeToo), des inégalités salariales, ou du quotidien conversationnel (e.g. mansplaining), la confiscation du pouvoir par les hommes est au cœur des études de genre et des préoccupations sociétales. La notion de genre implique de manière consubstantielle celle de hiérarchie: les catégories de genre se définissent les unes par rapport aux autres selon des inégalités de statut, de ressource ou de droit. Par ailleurs, sur le plan psychologique, les individus considèrent souvent la distinction de genre comme une distinction de statut, ce qui peut conduire à des comportements conformes aux hiérarchies de genre. On sait aussi que l’intériorisation des normes de genre et l’adoption de comportements genrés sont susceptibles d’apparaître dès la petite enfance. L’association entre pouvoir et masculinité chez les enfants pourrait contribuer à ancrer et perpétuer les inégalités de genre. Il est donc essentiel de comprendre comment et quand ils deviennent réceptifs au déséquilibre de pouvoir entre genres.
Si l’on connait assez bien la manière dont les adultes conçoivent les liens entre le genre et le pouvoir, la question reste largement en suspens chez les enfants. D’un côté, la plupart des études sur la compréhension du pouvoir pendant l’enfance ont occulté la question du genre. Elles utilisent comme stimuli des interactions entre deux personnages qui sont soit non genrés, soit d’un seul genre, ou soit dont le genre est confondu avec celui du participant. D’un autre côté, les études sur les conceptions précoces du genre occultent la façon dont les enfants perçoivent la dynamique de pouvoir entre les hommes et les femmes, et se concentrent plutôt sur leur capacité à distinguer les traits, les comportements, les préférences, ou les activités associés de façon stéréotypée aux hommes et aux femmes. Et lorsque ces études s’intéressent aux représentations enfantines des inégalités de genre, elles font appel à des notions complexes telles que le statut professionnel, l’économie, la politique, qui dépassent largement l’expérience du monde social des plus jeunes
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Fondé sur une approche expérimentale, le projet CHILD-GAP aborde trois questions clés : 1) Les nourrissons et les enfants d’âge préscolaire ont-ils des attentes spécifiques quant au genre du pouvoir ? 2) Quelles sont les attitudes des enfants à l’égard d’un pouvoir genré ? 3) Comment conçoivent-ils leur propre identité dans le contexte d’un pouvoir genré ? Nous étudierons plusieurs facteurs susceptibles de moduler ces représentations. Premièrement, nous examinerons comment les enfants associent le genre à différentes expressions du pouvoir, qui peuvent être plus ou moins prosociales. Deuxièmement, nous nous concentrerons non seulement sur les enfants d’âge préscolaire et scolaire, mais aussi sur les nourrissons. Étant donné qu’au cours de leur première année de vie, les nourrissons montrent une certaine compréhension de la dominance et qu’ils sont capables de faire des distinctions de genre, il convient de se demander s’ils comprennent la notion de pouvoir genré. En outre, nous analyserons comment la vision du pouvoir genré évolue avec l’âge. Troisièmement, les représentations du pouvoir genré sont susceptibles d’être modulés par le propre genre de l’enfant. En effet, dès l’âge de 4 ans, les enfants considèrent les personnes du même genre de manière plus positive que les autres. Quatrièmement, comme l’environnement culturel des enfants peut influencer leurs conceptions du genre, nous réaliserons certaines de nos expériences non seulement en France, mais aussi dans des pays qui diffèrent quant au niveau d’inégalité entre genres, à savoir la Norvège et le Liban.
En considérant tous ces facteurs, nous pensons que le projet CHILD-GAP fera progresser nos connaissances sur le développement précoce des représentations liant le genre et le pouvoir, et qu’il pourrait être un tremplin pour de recherches interventionnelles futures.